Art & Entreprises #3 ... l’humour chevillé au corps !

Posté le 09/02/2017 par Luana

Sur la scène politico-médiatique, le petit mot d’autodérision et la taquinerie décomplexée ont valeur introductive. L’humour fait le lit des discours de tous genres et révèle son visage de Joker à la moindre embûche. Hop, aïe, coincé…. Petit saut, petite blague, trait d’esprit, entourloupe, pirouette, « Hé, regarde il neige ! » et magie, l’humour agit. Aussi efficace qu’un slogan publicitaire, aussi séduisant qu’un sourire charmeur et doux comme du cachemire.

L’humour, me direz-vous, est subjectif. Les blagues de Tonton Robert font uniquement rire Tata Roberte et la frimousse effarée de votre chat au son du réveille-matin ne fait rire que vous. Soit. Mais Bergson, s’il eût été vivant, se serait peut-être bien arraché les poils de la moustache à vous entendre… si ce n’est l’humour, le comique est selon lui fondamentalement mécanique et peut être de répétition ou de situation. Des rouages mécaniques ? Nous pensons au yoga du rire et à la libération des tensions du corps et de l’esprit de manière collective et joyeuse. Mais la mécanique est aussi la production à la chaîne, le rire forcé, l’angoisse dissimulée. L’artiste chinois Yue Minjun peint cet état de fait depuis des décennies, ou comment le rire d’un peuple traduit la folie d’un gouvernement totalitaire. Le comique de répétition est le bégaiement de l’âme, le quotidien qui trébuche. La machine en état de marche. Humour de situation, nous y voilà.

Dans le monde de l’entreprise, à l’ère du management 2.0 où tout ce qui est créatif devient synonyme d’innovation, donc de compétitivité, donc de rentabilité, l’humour est un Graal. Un chef drôle – oui c’est possible – a des allures de messie pour les uns et n’est que fantasme délirant pour les autres. Les crypto-zoologues se sont penchés sur la question. S’il existe, le chef drôle peut souder une équipe, motiver les troupes et conquérir les esprits. L’humour est une méthodologie de travail, un outil de communication qui demeure une notion abstraite dont chacun détient sa propre définition. C’est comme l’absurde, le cool, le bof. Nous avons tous nos propres points de repère dans ces domaines-là, allant de Beckett à Mr. Bean, de David Lynch au bob Ricard.

Dans le champ artistique, l’humour est le chemin vers une plus grande accessibilité de l’œuvre, vers sa démocratisation. Il est dans le discours du médiateur et dans le montage du vidéaste. Il se révèle dans les anachronismes, se fond dans les silences et aime parfois avancer masqué, dissimulé sous un fard de bienséance et de sérieux. Il ne s’agit pas de comprendre mais de ressentir, d’interpréter, d’imaginer, de rêver. On se laisse alors caresser le palpitant et on transforme allégrement notre matière grise en une palette de peintre.

L’humour dans l’art, en entreprise ou au cœur de la société, est aussi et peut-être avant tout la voie du partage et de l’engagement. L’humour est politique et se révèle tel une arme de résistance imparable pour affaiblir les autoritarismes, esquiver les coups et neutraliser la malveillance. L’humour est un médiateur social et culturel, un pont entre l’art et l’entreprise, un bouclier anti-missile.

A Mains d’œuvres, où plus de deux cents créateurs travaillent chaque jour, où de jeunes gens issus de toute la Seine-Saint-Denis sont accompagnés vers l’emploi, où l’on donne des cours de pratiques amateurs – mercredi c’est yoga du rire ! – chaque semaine, à destination de tous les audoniens, on le sait. L’humour appartient à tout le monde. On le sent. Il est fédérateur. Et on se marre. Comme un pied-de-nez aux oiseaux de mauvais augure, comme une joue tendue à l’adversité.

Marie Frampier, pour Mains d’Œuvres

LIENS

Art et Entreprises 2 : l’immersion dans la machine industrielle
Art et Entreprises 1 : la triangularité du monde