Petrus Picnic vu par...Julie Portier

Posté le 25/01/2016 par Marine Vicedo - Mains d’Œuvres

Étrange effet rétroactif que celui par lequel nous apparaissent nos belles années. En septembre dernier je laissais ma place, comme ceux qui m’y avaient précédé, sur le bureau face à la fenêtre de l’atelier 16. La vue matinale sur les maisons ouvrières gentrifiées de la rue Charles Garnier, ses trottoirs calmes jusqu’à 17h, quand un groupe de hip hop se rencarde avant le studio, la bise glacée de l’hiver sifflant sous le carreau où est scotché une pancarte « ne pas tenter d’ouvrir », contrée par les flammes du chauffage au gaz dont les vapeurs font tourner la tête en fin de journée, avant que des basses bien lourdes depuis la salle de concert juste sous nos pieds ne fassent vibrer le tout : « Ah !!! J’ai toujours pas fini mon article ! ».

Tel fut pendant un an et demi le hors-champ de mes pages blanches qui finissaient toujours par se remplir, de tous les textes publiés ailleurs et des projets réalisés ici à la grâce de ce qu’on y trouve de plus précieux : la compagnie de ce petit monde embarqué pour un temps dans ce gros bateau rafistolé où les convictions personnelles et l’énergie collective tiennent à distance la menace pourtant réitérée du naufrage. En prenant mes quartiers parmi les Robins des Villes, la Compagnie du Dahu ou la Fabrique des Impossibles, je mettais un pied circonspect en territoire utopique avant de réaliser que, œuvrant pour les autres ou fabriquant ici le projet d’une carrière personnelle, nous travaillons tous pour la même chose : pour presque rien, il est vrai, et pour une seule grande idée, où la création se conjugue à un projet de société.

C’est ce projet qu’abrite Mains d’Œuvres au quotidien, entre deux fêtes spectaculaires, entre deux concerts, et c’est à ce projet qu’elle est indispensable, en lui offrant un cadre de travail, car il n’y a pas d’artistes sans ateliers, pas de collectifs de graphistes, pas d’associations socio-culturelles sans locaux, pas de musiciens sans studio, pas d’auteur sans bureau.

Le samedi 30 janvier, Petrus Picnic célèbre cette belle aventure de quinze ans d’âge et nous réunira tous autour d’un bon dîner, savoureux, croustillant, surprenant, performatif et déambulatoire ! Le lieu sera transformé pour l’occasion, avec une scénographie, une programmation et une exposition telles que l’expérience sera inoubliable, c’est certain.

Alors avant que la fête commence, avant d’inventer de nouvelles formes d’être ensemble, et alors que mon nom a rejoint la longue liste des anciens résidents de Mains d’Œuvres (si nombreux qu’on en croise jusqu’au bout du monde et même sur le bord du lac d’Annecy pour vous dire d’un air complice « moi aussi ! »), je pense à mes amis rencontrés ici, que je reverrais le soir du gala, et à tous ceux que l’on voit moins et qui travaillent chaque jour à remettre le navire à flot et à adoucir la croisière : à Andremaine, à Momo, à Jean-Claude, à Lætitia, à David, à Pinto, à Norbert, à Blandine, à Ann, à Diane, à Camille, à Juliette, à Cédric, à Charles, à Jérémy, à Pierre….

Julie Portier, critique d’art